Jon Pitt
Activiste de la scène rouennaise
Tout d’abord, peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle John aka Jon Pitt, éthiopien et guadeloupéen d’origine. J’ai 31 ans et cela fait maintenant plus de 15 ans que je navigue dans l’univers du Hip Hop français, ancien danseur puis rappeur en 1998.
Peux-tu nous parler de ton prochain album ?
Mon premier album se veut musical et rap à la fois avec pour influences des sons groove, soul, west et east coast, accompagnés de textes sensés et relatant certains faits et épisodes de ma vie. A la base de cet album sont présents plusieurs concepteurs musicaux de la ville de Rouen avec des invités locaux et nationaux également.
Tu rappes et tu chantes également sur certains morceaux. Tes textes sont souvent conscients, cela ne t’empêche pas d’avoir des morceaux plus street. D’où te viens cette versatilité ?
J’ai choisi et construit cette alchimie rap/chant au fur et à mesure des dix années de pratique. J’ai compris qu’il y avait énormément de styles et de rappeurs. Vela m’a poussé à personnaliser mon propre style et ma technique afin de me démarquer de ce qui se fait déjà. J’aime la musicalité et j’avoue que dans le rap au départ, ce n’était pas ce qu’on retrouvait ou même recherchait en premier. Grâce à cela, je peux tout aussi bien écrire des textes plus street en y mettant le flow.
Tu as toujours voulu faire du rap ou c’est venu progressivement ?
J’ai commencé par la danse via le centre aéré de mon quartier de 12 à 17 ans, période pendant laquelle j’ai dansé pour un groupe de rap/ragga et j’ai découvert le hip hop et ses groupes phares de l’époque. En 1998, je me suis converti au rap. Plus que de danser, j’ai ressenti le besoin de dire.
Comment se sont passés tes débuts ?
Beaucoup de m***** sortaient de ma bouche (rires), en freestyle surtout. J’ai commencé par l’improvisation, c’était plus facile pour moi. Sortant de mes débuts de danseurs, je pouvais coller à une rythmique en débitant toutes sortes de phases. J’ai fait ma première scène avec un MC de Rouen du nom de Wara MC. Ayant peu de rappeurs sur mon quartier, j’ai décidé d’élargir mes connaissances rapologiques au-delà des frontières de celui-ci. A force de rencontres et de détermination, j’ai fini par connaître les groupes phares de ma ville. Puis après plusieurs scènes et apparitions discographiques, j’ai sorti mon premier disque en 2005 en association avec Fayçal du groupe 255, un compositeur de ma ville.
Quels rappeurs écoutes-tu en ce moment et lesquels t’ont fait apprécier le rap ?
Au départ, je dansais sur des morceaux de NTM, Pete Rock et autres ... Ma première cassette de rap : « Vanilla Ice » (rires). Sinon en ce moment, je suis un peu déçu par rap français ou son public, je ne sais pas ... Il y a de moins en moins de messages positifs et crédibles dans les morceaux que j’entends et plus d’apparats sur les vidéos. Néanmoins, certains sortent du lot et représentent même pour nous, trentenaires du rap, un espoir pour le rap et la jeunesse française de demain. Certains morceaux et MC m’ont interpellé comme Lino, Sefyu, Ol Kainry, Hocus Pocus, L’Skadrille, Oxmo Puccino, Booba et d’autres ...
Que penses-tu du Hip Hop actuel et comment te situerais-tu par rapport à lui ?
Pour ce qui est du Hip Hop, je pense qu’il n’a jamais été aussi médiatisé. C’est une bonne chose mais je pense que c’est peut être aussi dangereux, de part tous ses clichés et enjeux financiers qu’il génère. J’espère me tromper ... De toute façon, être hip hop, c’est déjà beaucoup, arriver à en vivre, c’est une toute autre question ...
Et que penses-tu des styles Dirty South ou Crunk qui ont émergé ces dernières années ?
C’est une toute autre branche de l’arbre du Hip Hop. Certains pensent que c’est une progression, d’autres l’opposé, une régression. Pour ma part, je trouve ça assez intéressant d’un point de vue MC en terme d’évolution de flow et de technique rythmique, mais je ne me sens pas trop l’âme d’un « crunker » (rires). Personnellement, je ne comprends pas tout le temps ce qui se fait dans ces sphères là. Mais, je peux rapper, bouger et prendre des vibes sur ce type de sons.
Quel est ton avis sur le rap conscient en général ?
Pour moi, ceux sont des valeurs sures du Hip Hop qui ne sont pas toujours mises en évidence mais qui ont eu leurs heures et sont tout de même aujourd’hui des références.
Comment t’es venu l’envie de monter un groupe de musiciens pour défendre et adapter ton album en live ?
Toujours dans la démarche de la mise en relief de la musicalité de mon projet, j’ai estimé que s’entourer de musiciens se faisait peu en France et que c’était un gros manque sur un live. En ce moment, je commence donc à travailler avec des zicos sur certains morceaux de l’album que je pourrais vous présenter prochainement. J’ai l’impression qu’en France il y a un léger fossé entre le monde du Hip-hop et les musiciens d’autres univers.
Il me semble que pas mal de musiciens de rock, soul et funk sont plus ou moins chauds pour bosser avec des rappeurs, qu’en penses-tu ?
Oui c’est vrai. C’est lié aux clichés que chacun se fait sur l’autre ... Il faudrait moins de questionnements et plus d’impulsions. Il y a plein de styles de musiques qui peuvent se mixer ensemble tant que c’est bien fait. Les américains sont d’ailleurs très en avance là-dessus. Après, je pense que si les musiciens d’autres styles sont assez intéressés pour travailler avec des rappeurs, c’est pour leurs qualités de lyricistes et de flow.
A quoi peut-on s’attendre avec ton nouvel album, t’es-tu fixé des objectifs précis avec ce nouvel opus ?
C’est un gros challenge pour moi, dans le sens où il va préciser ma personnalité artistique et musicale. Aujourd’hui, je fonctionne en auto-production et j’aimerais pouvoir sortir ce projet tel que je l’avais imaginé avec les moyens dont je bénéficie qui sont assez minimes pour l’instant. C’est surtout un travail de fourmi (je vis entre Paris et Rouen) afin de trouver une production avec qui je pourrais concrétiser mon produit dans les meilleures conditions. En tout cas via ce projet, je pense amener une fraîcheur dans le style et un détachement de tout ce qui me blase et que je connais déjà et surtout que l’on entend sans cesse. En fait c’est un album qui appel à l’espoir, la détermination, ma vie et la musique tout simplement.
Où as-tu puisé ton inspiration pour ce LP ?
Dans ma vie, dans tout ce qui m’entoure, tout ce que je connais et dans mes rêves, dans ceux que je projette. De part ce que j’ai vécu, j’avais de quoi de faire.
Tu as sorti un maxi cd et vinyle courant 2005. Quels ont été les retours ?
Ce fut une bonne carte de présentation qui a plu et plaît encore à un large public. Tiré à 1000 exemplaires, j’en ai surtout beaucoup donné. Le vinyl est sorti en 2006, il visait directement les djs et les puristes. En 2008, c’était la mixtape Jon Pitt « De 1998 à 2008 ». Les principaux projets auxquels j’avais participé ces 10 dernières années regroupés sur une mixtape récapitulative avant l’album. Les retours ont été assez positifs dans l’ensemble, les gens attendent l’album et moi je veux offrir un produit le plus professionnel possible. Alors pour patienter un peu et continuer de faire suivre ceux qui me supportent, les produits intermédiaires sont un bon entraînement et un bon cheminement jusqu’à l’album.
Tes instrumentaux sont très efficaces et évoquent de nombreuses ambiances. Avec quelle équipe de beatmakers travailles-tu ?
Jusqu’à maintenant, essentiellement avec des concepteurs rouennais. Sur l’album on en retrouvera environ cinq ou six différents et j’espère encore des surprises. Le choix des productions est très important et décisif pour moi, donc big up à eux.
Tu as fais des featuring avec Boildieusard et avec Charly. Comment s’est fait le contact et seront-ils présent sur certains lives ?
Déjà pour la tape que je prépare j’ai décidé d’utiliser en partie des instrumentaux cainris. En ce qui concerne Charly et Boildieusard, ce sont des MC de Rouen que je connais depuis plusieurs années et avec qui je n’avais pas eu encore l’occasion de « croiser la rime ». La mixtape « Le réseau de ma ville » s’y prêtait bien. Boildieusard sont des gars de Oissel et Charly est un gars des hauts de Rouen. Ils seront invités pour les lives présentant la mixtape volume 2 (Plus d’infos bientôt).
Avec quels autres artistes aimerais-tu collaborer ?
C’est au feeling, pour l’instant, focalisé sur mon projet et ses invités je ne pourrais pas te dire mais en fait, il doit y en avoir pas mal sans doute.
En 2006, tu as participé à la « Terrasse du jeudi » (festival rouennais organisé en plein centre ville). Peux-tu nous en parler un peu ?
Cette année là, je me suis dit que la ville de Rouen permettait au Hip Hop de s’exprimer et de s’ouvrir étant donné que les précédents concerts de rap avaient lieu en banlieue (Grand mare) et qu’il est très difficile de faire bouger les habitants du centre ville.
Pense-tu que le rap est plus respecté et fasse moins peur à la municipalité ?
Ce qui fait peur, c’est certains rappeurs et leurs discours. Mais aujourd’hui la jeunesse est bercée par ce mouvement hip hop, donc ce ne serait pas dans l’intérêt des municipalités de bouder les rappeurs qui peuvent délivrer des messages même revendicatifs et qui rentrent dans le cadre de la citoyenneté.
Le rap reste la musique du peuple. Quel est ton avis sur la scène rouennaise et normande en général ?
Elle évolue et se renouvelle sans cesse mais elle a besoin d’appuis solides et d’acteurs nationaux pour pouvoir s’officialiser. Les structures implantées ne bénéficient pas d’assez de médiatisation et/ou de moyens de promotion pour pouvoir se mettre en évidence, c’est bien dommage. Il faut que cela change.
As-tu d’autres projets qui arrivent ?
A part la mixtape « Le réseau de ma ville » et mon premier album, c’est déjà pas mal. Mais oui bien sûr, j’ai encore des projets en tête pour plus tard.
Quelques mots pour finir ?
Courage aux acteurs de cet art et big up à ceux qui le font vivre.
Peace, Jon petit merci à toi.
Publié par
, le 15.08.2008