Interviews

Fred Yaddaden

Le bricoleur musical

Petite présentation, pour ceux qui ne te connaissent pas.

Je suis Fred Yaddaden, aka Defré Baccara. J’ai 27 ans et suis bricoleur musical depuis 1998… Mes premiers faits d’armes sont avec mon groupe de rap : « La Cinquième Kolonne », une formation stéphanoise en tant que beatmaker principal. J’ai ensuite travaillé à droite et à gauche avec différents rappeurs et j’ai également participé à plusieurs projets. Aujourd’hui, je me consacre essentiellement à la production purement instrumentale, toujours dans une veine très « rap » dans la façon de construire mes morceaux, c’est à dire par l’utilisation de samples, et de boucles… mais en plus lent et plus mélodieux. Ce que l’on peut appeler vulgairement de l’abstract hip-hop ou downtempo. Ma première apparition sous le nom de « Fred Yaddaden » était sur l’un des maxis de Wax Tailor, sorti en Mai 2008, qui m’a cordialement invité à remixer son titre avec Ursula Rucker.

Depuis quand fais-tu du son ? Disposes-tu de bases musicales solides, joues-tu d’un instrument de musique ou es-tu autodidacte ?

J’ai donc commencé vers 98, avec des bouts de ficelles. Un peu avant, je rappais vite fait, vers 96, j’étais vraiment minot et j’avais un niveau déplorable. J’attendais en fait d’avoir mes premières machines. Et les choses se sont accélérées vers 2000 quand j’ai enfin reçu ma MPC 2000XL, un sampleur de chez Akai, un véritable couteau suisse pour faire de la musique. Mes seules connaissances dans le domaine se limitaient aux quelques cours de flûte à bec qu’on avait au collège. J’ai toujours tout fait à l’oreille, sans vraiment savoir comment construire un morceau, ignorant totalement l’existence d’arrangements, d’harmonies, etc…J’ai donc évolué en parfait autodidacte…mais par dépit finalement. Parce que j’aurais aimé prendre des cours de solfège, essayer de me familiariser avec quelques instruments, apprendre le langage, pouvoir communiquer convenablement avec… Mais au lieu de ça, je m’étais plus ou moins enfermé dans une logique de : « T’inquiète c’est Hip-Hop c’que j’fais, j’fais tout tout seul sans besoin de personne pour m’apprendre les choses et ça pête ! ». Et j’en vois vraiment les limites maintenant. C’était, on va dire, ma crise d’adolescence [sourire].

Quelles sont tes influences et qu’est ce qui t’as donné envie de devenir beatmaker hip hop ?

Depuis tout petit, j’ai toujours écouté de la musique et j’ai toujours vraiment apprécié ça. J’ai découvert le rap vers 92-93. Plus le temps passait et plus j’en écoutais. Et plus j’en écoutais, plus j’étais attiré par les instrumentales. Vers 96, j’ai formé mon premier groupe de rap, on rappait sur les faces B. Et comme beaucoup, on a eu ce désir de faire nos propres sons, et je m’y suis collé tout naturellement. J’avais beaucoup plus de plaisir à tapoter et tourner des boutons qu’à prendre un stylo. Et c’était l’époque où je découvrais Mobb Deep, Das Efx, Artifacts, les solos du Wu-Tang, etc…et je voulais faire comme eux. Je voulais être noir, habiter dans un ghetto, fumer des blunts, porter des baggys et avoir des Timberland aux pieds et freestyler avec tout mon crew au coin du block sur mes instrumentales respirant à plein poumon le New York des bas-fonds… Bon, j’avais 14 ans, je me suis contenté de ma Loire natale et mes 2 potes qui écoutaient du rap, et j’ai juste fait des sons sagement dans ma chambre, chez mes parents, en samplant Richard Clayderman et Nicolas de Angelis et en attendant d’avoir un niveau respectable [sourire].

Et niveau influence, c’est essentiellement le rap américain. Et Yvan et Dj Sek côté français. Mais aujourd’hui, j’écoute tellement de musique de tout horizon, qu’inconsciemment, je dois également m’en inspirer.

Tu travailles surtout à base de sample, t’arrive t’il aussi parfois de composer un titre de A à Z ?

Non, jamais. Pour la simple et bonne raison que je n’ai qu’un sampleur et que je suis, par conséquent, assez « limité » niveau compo, je n’ai pas changé ma config’ depuis 2000. Et je suis trop attaché aux samples pour susciter en moi l’envie de composer un morceau de A à Z. Je n’en exclus pas la possibilité mais j’y rajouterais forcément des samples à droite, à gauche.

En général comment fonctionnes-tu, quand tu produis, tu cherches la mélodie puis tu construis autour ?

Oui, c’est exactement ça, enfin la plupart du temps. Je prends une boucle de base, assez épurée, pour que je puisse rajouter autant d’échantillons que je le souhaite par la suite…Après, je n’ai pas de méthode de travail bien définie mais celle-ci reste la plus récurrente.

Par le passé, avec quels artistes, as-tu collaboré ? Sur quels projets t’as t’on retrouvé et comment se sont faites les connexions ?

Ce ne sont que des projets « rap ». J’avais donc mon groupe, « La Cinquième Kolonne » composé de Piloophaz, Fisto, etc…, avec qui j’ai sorti un album « Derrière nos feuilles blanches ». J’ai assuré la quasi-totalité des musiques. L’album avait reçu un très bon accueil. En parallèle, je travaillais régulièrement avec un autre groupe de Saint-Etienne, Eska Crew, qui est maintenant signé sur Desh Musique. Comme St-E. est assez petit, on a vite fait de se capter facilement et on a toujours des potes ou des connaissances communes qui favorisent ces rencontres. C’était donc le cas avec Eska Crew, un pote en commun.

Ensuite, rapidement, j’ai travaillé avec Dreyf’ vers 2004 où j’ai signé plus de la moitié des productions de son EP « Son d’automne ». La connexion s’est faite via internet, comme la plupart des collaborations que j’ai pu établir par la suite. C’est le cas avec Shaolin, un rappeur de Grenoble, Circa Diem (le groupe nancéen d’Omen-Graphizm, celui qui m’a superbement réalisé ma pochette), Memphis Reigns (un MC américain, avec qui j’ai fait 2 titres). J’ai également bossé avec Matew Star et Daz-Ini de Force Pure. On les connaissait grâce aux concerts et mix-tapes qu’on faisait avec « La Cinquième Kolonne ». Et du temps des mix-tapes qu’on préparait, j’avais pu descendre à Marseille faire quelques morceaux avec Prodige Namor (99-2000) mais qui ne sont jamais sortis.

Voilà en gros. Rien de mirobolant (hormis une escapade chez les majors grâce à Fisto et notre morceau « Juste un looser ») mais toujours des rencontres humaines plutôt sympathiques, ce qui finalement m’importe le plus.

Aujourd’hui, avec qui travailles-tu comme artistes ? Quels sont les projets sur lesquels nous allons te retrouver ?

Hormis Piloophaz (l’un des MC de feu Cinquième Ko.) avec qui je travaille encore régulièrement, rien de concret à l’horizon. Tout d’abord parce que j’ai un peu délaissé le rap pur et dur, ça me fait moins vibrer d’en faire et puis je produis beaucoup moins depuis quelques années. Du coup, je me concentre essentiellement sur mes projets personnels, sur lesquels j’aimerais, à terme, inviter des gens d’univers différents (chanteurs/chanteuses, musiciens, etc…).

Ton actualité, c’est T.S.O.A.R (the shadow of a rose) qui va sortir à la rentrée. Est-ce la première fois, que tu sors un projet tout seul, sous ton nom ?

Oui, c’est la première fois. Ça fait un petit moment que j’avais envie de produire entièrement un disque et j’avais vraiment cette volonté de le faire tout seul, sans interventions extérieures. La seule personne qui participe musicalement au projet est Polo, du groupe Circa Diem, qui joue de la basse sur 2 morceaux. Après, il y a 3-4 personnes qui ont gravité autour durant la réalisation, qui m’ont donné de précieux conseils, certains m’ont même apporté de la « matière » pour des titres. Et ces mêmes personnes sont encore là pour m’aider à le sortir et me filer différents coups de main.

La sortie du CD a été retardée de plus d’une année, quels problèmes as-tu rencontrés et comment expliques-tu ça ?

Oui, l’album est bouclé depuis 3 ans environ. Alors il y a plusieurs raisons à ça : tout d’abord, j’ai totalement délaissé la musique – et donc mon projet fini – durant une bonne année, pour raison personnelle. Ensuite, j’ai démarché un peu à droite à gauche afin de trouver un plan pour le sortir dans de bonnes conditions, échec total. Et cette dernière année aurait pu être couronnée d’une belle sortie sous la tutelle de quelqu’un de déjà très bien installé mais comme pour beaucoup de projets, c’est resté à l’état embryonnaire. Je suis donc retourné voir mes potos de LZO et après discussion, on a décidé de sortir le CD ensemble. Ce qui finalement me plaît beaucoup. Je trouve la logique et la démarche du label très séduisante, je me retrouve pleinement dedans et je connais à peu près tous les artistes du label et ses hommes de l’ombre.

Et avec la crise du disque, beaucoup de personnes avaient déjà leurs arguments tout trouvés pour te dire non. Et quand, en plus, tu te pointes avec un projet bourré de samples du début à la fin, tu sens que les mecs en face sont frileux. Alors au bout d’un moment, tu prends le taureau par les cornes et tu fonces, et advienne que pourra…

Et pour finir, il faut rajouter à tout ça une bonne dose de fainéantise. Je fais partie de ces gens qu’il faut prendre par la main pour mieux les secouer [Sourire].

Après ce temps passé avant de pouvoir concrétiser ton projet, quel regard portes-tu aujourd’hui sur T.S.O.A.R, es-tu toujours autant satisfait et fier ?

La seule fierté que j’en tire est d’avoir réussi à terminer un projet uniquement instrumental, construit qu’autour du sample et sans l’avoir surchargé d’effets en tout genre pour faire diversion. Je me suis pris la tête à créer des variantes en utilisant d’autres samples et non pas en mettant un effet sur la boucle qui tourne déjà depuis 3 minutes, comme j’ai pu l’entendre sur pas mal de disques. Je me suis efforcé à faire de vrais titres, qui durent, consistants, en évitant une certaine redondance. J’ai d’ailleurs certains morceaux qui mélangent des samples issus de plus de 20 chansons différentes. Je voulais à tout prix que l’auditeur ne s’emmerde pas au bout d’une minute en se disant : « Ok ! Il a tout balancé dans les premières 30 secondes, le reste sera pareil, je peux passer à la piste suivante. ». Et c’est en ce sens que je suis satisfait du rendu de mon projet. Après, bien entendu, en 3 ans, mon style a légèrement évolué, il s’est davantage affiné et je suis forcément plus satisfait de ce que je fais aujourd’hui. Mais aucun souci avec cet album, je le trouve encore assez « frais » [sourire].

Pourquoi avoir tout particulièrement choisi de travailler sur un projet instrumental et pas une compile par exemple ?

Comme je l’ai dit précédemment, j’avais vraiment à cœur de réaliser un projet tout seul. Après avoir longtemps travaillé en groupe ou en donnant des instrumentales un peu partout sans avoir aucun droit de regard sur le projet terminé, ça me frustrait un peu. Et puis j’avais ma « dose » du rap et ses rappeurs. Alors, comme j’avais déjà pris l’habitude de faire des titres instrumentaux pour mon petit plaisir personnel, j’ai décidé d’approfondir tout ça et de réaliser un projet, faire quelque chose que j’aime vraiment, essayer de construire un ensemble homogène avec un fil conducteur, pour ensuite proposer tout ça à qui veut bien l’écouter.

Penses-tu que des rappeurs ou autre artistes, peuvent utiliser les productions du cd pour en faire des morceaux à eux ? As-tu pensé à ça ?

Non, je n’ai jamais pensé à ça mais pourquoi pas. Si quelqu’un apprécie un morceau et qu’il veut faire quelque chose dessus, pas de problème, qu’il se fasse plaisir. Faudra juste que le mec sache rapper super lentement [sourire].

Quelles thématiques développes-tu, à travers ce disque. Quelle histoire souhaites-tu nous faire partager ? Quelle atmosphère désires-tu nous transmettre ?

Pour résumer, c’est une histoire d’amour « classique » entre deux personnes. L’une des deux est toute seule, rencontre quelqu’un, vit quelque chose avec ce quelqu’un, elles se quittent et elle redevient toute seule. La boucle est bouclée et on recommence. Voilà, j’ai construit le projet de cette façon… Après, je ne veux pas que cet album paraisse comme une réalisation « conceptuelle » où il faut à tout prix comprendre l’essence même de ce que j’ai voulu exprimer. Ecouter la musique est tellement « subjectif » qu’il y a autant de ressentis, qu’il y a d’auditeurs différents. J’aimerai que TSOAR soit un peu le « disque dont vous êtes le héros », c’est-à-dire que chacun prend ce qu’il a à prendre et en fait ce qu’il veut. Si ça évoque à l’auditeur un voyage en train, une ballade nocturne ou je ne sais pas, un souvenir quelconque ou tout autre chose, tant mieux. Que ça évoque déjà quelque chose aux gens qui écouteront, ce sera déjà pas mal [sourire]. Bref, l’histoire que j’ai voulu raconter, au pire, ça reste anecdotique, on s’en fout... J’ai davantage à cœur de transmettre des émotions, de poser une atmosphère, sur la durée, et que ça reste cohérent musicalement, du début à la fin. Que chacun puisse s’accaparer cette musique et en faire ce que bon lui semble…

En écoutant, je discerne une ambiance très mélancolique, émotive avec un côté romantique également.

Bon, si t’as capté un côté romantique, c’est que je ne me suis pas trop déchiré dans la conception de l’album [sourire]. Pour le côté « émotif », j’essaie toujours de faire en sorte que ma musique dégage quelque chose, qu’il y ait ce petit plus qui crée assez rapidement une atmosphère particulière et si possible une émotion assez forte. J’essayais déjà de faire ça quand je produisais pour les rappeurs. Je passais – et encore aujourd’hui – des heures à chercher « LA » boucle qui, en deux secondes, te renvoie plein d’images. Je cherche toujours à obtenir un rendu très expressif où, justement, tu n’as pas besoin de mots dessus pour t’imprégner de l’ambiance et capter le délire. C’est pour ça que contrairement à pas mal d’albums instrumentaux, je n’ai pas mis des tonnes de dialogues de film. J’ai essayé de faire en sorte que ma musique se suffise à elle-même, sans trop de fioritures autour.

Pourquoi avoir choisi un titre en anglais ? Qu’évoque ce titre pour toi, comment l’auditeur doit-il le comprendre, le déchiffrer ?

Le titre en anglais, c’est tout simplement parce que ça reprend le passage d’un morceau que j’ai samplé d’une chanson anglophone. Je n’allais donc pas le traduire sachant qu’on le retrouve tel quel dans le disque. Et c’est d’ailleurs en écoutant ce morceau que j’ai trouvé la ligne directrice de TSOAR. J’ai su à l’instant même où je l’ai découvert, comment j’allais construire mon album et surtout ce que j’allais y raconter. La « Rose » symbolise l’être aimé. « The shadow of a rose », l’ombre d’une rose donc, c’est que ton copain ou ta copine s’est barré, voilà, ça ne va pas péter plus loin [sourires]. Le titre de l’album correspond plus ou moins à la fin de mon disque…

Parmi les sorties actuelles, toutes musiques confondus, que nous conseilles-tu ?

Mes deux derniers gros coups de cœur, l’album d’Emily Jane White « Dark undercoat », sortie il y a quelques temps déjà et le Cinematic Orchestra « Ma fleur ». En rap, sorti en 2008, l’album de Prolyphic & Reanimator, super bien produit et ça rappe dur. Et le projet solo du producteur américain Jake One « White van music ». Après, ce qui tourne en ce moment chez moi : Alice Russell « Pot of gold », Lhasa (éponyme), Piers Faccini « Two grains of sand », Menahan Street Band (éponyme), Pierre Lapointe, etc…Et très régulièrement, je me passe des albums des Doors et Curtis Mayfield, mais c’est une autre époque ça.

L’album "The Shadow of a Rose" (LZO Records) est disponible dès septembre 2009 et est en écoute sur :
http://www.myspace.com/fredyaddadenofficiel
Pour commander l’album, rendez vous sur : http://lzo.wizishop.com/cd-lzo/fred-yaddaden-the-shadow-of-a-rose.html


Publié par Ornicard, le 01.09.2009



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