Mysta D
« Je me suis toujours foutu des tendances, ce qui fait que des fois, j’ai pu être précurseur. »
Alors Mysta D, avant d’entrer dans le vif du sujet, peux-tu te présenter pour tous les petits jeunots qui n’ont pas connu les débuts du rap en France et nous parler de l’arrivée en 1995 de l’Invincible Armada ?
Qui je suis ? Et bien Mysta D, producteur de rap français et nous allons donc dire « beatmaker » ce qui est l´appellation moderne.
Peut-on dire de toi que tu es un architecte sonore ?
Oui, un architecte sonore parmi tant d’autres qui a eu la chance d’avoir réalisé quelques projets intéressants. A vrai dire me définir moi-même est très difficile. Disons que, je suis attaché à mon identité musicale et sonore. Il en découle ce que l’on peut connaître de moi, pour ceux qui me connaissent ou qui ont eu l’occasion d’écouter ce que je fais car non je ne suis pas encore à la retraite (rires). Je tiens surtout à mon identité car je ne veux pas ressembler à qui que ce soit. Je ne veux pas essayer de faire ce que fait un autre. Ma particularité c’est mon identité et j’y tiens profondément.
D’où viens ce blaze, Mysta D ?
C’est loin d´être de la grande recherche, je ne me suis jamais pris la tête sur la recherche d’un nom. J’avais besoin d’un nom en urgence à l’époque. Ca s’est fait assez vite. Mysta parce que je reste un mystère même pour ma mère et que c’est la tournure jamaïcaine de mystère. Le D c’est par rapport à mon nom de famille que je ne donnerais pas là ... Tout simplement. Encore une fois, je le rappelle je suis rattaché à mon identité et pas à autre chose.
Parle-nous des productions que tu as faites depuis tes débuts jusqu’à aujourd’hui.
Waouh (rires). Ce serait un peu long. Je n’ai pas tout en tête. En gros, j’ai travaillé avec tout le gratin du rap français, tout ce qui a émergé ces derniers temps, pas la nouvelle vague que je découvre en même temps que vous. Mais disons, ce que l’on appelle aujourd´hui les cadres, c’est-à-dire : Oxmo Puccino, Zoxea, 113, Rohff, Pit Baccardi, X-Men, Assassin, Expression Direkt, Les Spécialistes et GUILS que les gens n’ont pas encore la chance de connaître, pour bientôt j’espère. Je n’ai pas tout en tête, la liste est longue et j’en suis désolé.
Quelle est la première apparition de Mysta D ?
A l’époque, la toute première, c’était « Laisse nous faire » dans les bacs entre guillemets. C’était plus un outil de promo et ça date de 1992-1993.
Tout à l’heure dans les gens avec lesquels tu as travaillé, tu as oublié Abuz ?
Oui, c’est vrai, je suis membre du groupe D Abuz System qui n’existe plus. Abuz (Ricardo Malone) aujourd’hui est parti dans une voie différente, un peu éloignée de ma conception du Hip Hop, mais attention D Abuz System c’était un trip, une volonté d’exister, je suis fier de ce que j’ai fait avec lui. C’est mon premier groupe.
Pourquoi as-tu arrêté avec le groupe alors qu’il t’as fait connaître ?
Disons que les choses se sont arrêtées toutes seules. Abuz comme je l’ai dit a pris une voie différente. Une voie que je ne sentais pas moi, chacun a pris des chemins différents car nous avions des volontés de faire des choses bien différentes aussi.
Et puis, peux-t-on dire que j’ai acquis de la reconnaissance avec D Abuz, oui et non. J’ai acquis ma qualité de producteur tout seul, quand on a commencé à m’appeler pour d’autres projets. C’est là que les gens ont commencé à me connaître. D Abuz n’a jamais été très médiatisé, juste quelques clips tard le soir dans des émissions spécialisées. Donc, on n’est pas passé sur Skyrock (d’ailleurs à l’époque, Skyrock passait du rock ... rires). Même quand ils s’y sont mis ... Par contre, on était abonné à Générations et Nova aussi. En fait, sur toutes les petites FM qui passaient du rap. Et puis bon, dans un groupe, ce n’est pas le producteur que l’on remarque mais trop souvent le rappeur que l’on écoute. Alors oui, je me suis fait connaître par l’entité sonore D Abuz mais ceux sont mes projets qui sont à l’origine de ma « notoriété », bien que ce soit un grand mot.
Parce que Blaze est composé de pas mal de puristes et de mecs d’une trentaine d’années, Mysta D et D Abuz, ça nous parle ...
Oui, c’est vrai, si tu portes un intérêt à ce qui est « spé », on a un petit nom. C’est clair que pour les puristes, on n’est pas inconnu.
Oui, quand on parle de précurseurs, on peut citer IAM, NTM, ASSASSIN et puis D Abuz
Cela fait plaisir, mais comme tu dis, ceux sont les passionnés, les mecs pas forcément branchés sur Skyrock, disons-le, qui nous citent. Mais bon, ce n’est pas moi qui fait l’univers musical, ni même les playslists !
Comment s’effectue la sélection des MCs et groupes avec qui tu travailles ?
Mon problème c´est que je n’ai jamais été un rapace. Je n’ai jamais voulu avoir la main mise sur un artiste. En général, ce sont plus les mecs qui m’appellent, qui veulent avoir mon son, ma couleur sonore, mon identité. Après, j’ai toujours l’option de répondre « oui ou non ». Et, j’ai quand même des critères de sélection, j’aime bien avoir affaire avec des artistes qui ont une identité aussi. Ca reste toujours un travail, même avec des artistes affirmés, j’ai besoin de les « guider » sur ce que je peux leur proposer comme support musical.
Comment se passe « la facturation » pour un instrumental ?
Pas de règle, cela dépend du feeling, du projet et des moyens de la personne qui vient me voir.
Pourquoi as-tu disparu de la circulation ? Ton retour aux affaires est-il imminent ?
Mon retour est imminent, oui. J’ai disparu parce que depuis 1990, j’ai vogué sur une vague rap non stop de travail quotidien. J’ai à un moment ressenti pas mal de fatigue et puis, j’ai eu des événements personnels qui ont fait que j’avais vraiment besoin de m’aérer. C’est le cas de chacun à un moment de sa vie, je n’ai pas arrêté pendant plus de 10 ans de ma vie. C’était mon moteur mais j’ai eu besoin de prendre un peu de recul. Je suis parti un moment dans les hauteurs de la montagne, me ressourcer. J’ai quelques projets en tête mais je préfère attendre avant d’en parler, c’est une habitude, j’attends que ce soit effectif et concret. J’ai toujours été comme ça. Comme je te disais, je ne suis pas encore à la retraite (rires). Il y aura des trucs qui vont sortir dans le courant de l’année à venir.
Petite demande perso, comment avance l’album de GUILS ? (un très bon MC que j’ai rencontré et accessoirement ami de Mysta D)
On s’en occupe, il y a déjà des maquettes de prêtes. Il est comme tous, il a besoin de manger, alors on n’avance pas vite. Il a de très bons morceaux (ndlr, « C’est ça la vie » sur son myspace).
Comment vois-tu l’évolution de notre mouvement au vue des dérives et de la direction que prend le rap à l’heure actuelle ? Es-tu plutôt oldschool ou mainstream ? Es-tu proche des 3 autres piliers du mouvement ?
Oui, j’ai toujours été proche de ça. Je n´aime pas trop le dire mais j’ai eu ma période danse hip hop (rires). Je suis de la culture hip hop, et comme tu le dis, c’est un ensemble de disciplines, il n´y a pas que le rap. Quand je vois des mecs qui déchirent à la danse (pareil pour le graff ou le deejaying), ça me fait plaisir.
Après l’évolution du rap, c’est mitigé. Il y a de bonnes choses qui émergent mais comme d’habitude, ce ne sont pas les meilleures qui sont diffusées. Ca me laisse toujours un peu amer, ce qui marche, c’est souvent les mêmes schémas et les mêmes clichés. C’est vraiment dommage, il y a tellement de choses à faire ou à dire avec le rap. C’est un peu limité ce qu’on entend et ce qu’on voit. Mais il y a toujours des puristes et les passionnés qui font évoluer le mouvement avec leur travail. Et ça, c’est positif.
Mysta D, il met quoi dans son autoradio en rap français ?
Je n’écoute pas de rap dans l’autoradio. Surtout de la salsa, de la musique brésilienne, de la samba, de la soul, du funk. En fait, j’écoute du rap à l’occasion. En français, j’aime bien Sefyu. Celle qui m’a le plus impressionné ces derniers temps, c’est Casey. Une grosse impression, une grande évolution de sa part, elle a vraiment une identité et qui plus est une identité évolutive. Sinon il y a plein de petits gars qui ont émergé.
On n’en a pas trop parlé, mais tu es avant tout DJ, non ?
Oui c’est vrai, le deejaying, c’est composer de la musique. Deux platines comme instrument. Je reste DJ et c’est une passion. C’est également un moyen et un besoin d’expression. Je ne fais pas ça par calcul. C’est pour ça que j’insiste sur mon identité musicale. Je me suis toujours foutu des tendances, ce qui fait que des fois, j’ai pu être précurseur. Je reste à part, classé trop « spé ». C’est ce qui me convient, mon unique but, c’est que ça sorte. C’est pour ça qu’à un moment j’ai pris du recul.
Ma musique est un besoin d’exister et j’ai eu besoin de me retrouver. Ma musique partait dans une direction qui ne convenait plus.
Avec l’avènement du home studio, que penses-tu du niveau du beatmaking en France ? Penses-tu qu’il existe une réelle « French Touch » ?
Je ne trouve pas qu’il y ait une véritable « French Touch ». La preuve, c´est qu’il n’y a pas de rappeur ou de producteur français à l’international. Il y a une identité, mais elle est toujours un peu formatée. Le rap c’est un peu différent, la France est un pays de chansons à texte et puis le rap est, à l’origine, un moyen de poser des thèmes.
Il y a, encore une fois, un vrai courant rap français mais il reste toujours le même et ne se renouvelle pas assez.
Le Hip Hop français ne sort pas de sa couleur générale. C’est dommage ! Il n’y pas assez d’ouvertures pour avoir une vraie « French Touch ». Et puis c’est vrai aussi qu’il est difficile de sortir lorsque tu fais un son différent.
Comment travailles-tu ton son ? Quel est ton matos ? Hardware ou software ?
Je suis assez exigent, attention ce que « j’inflige aux autres », je me l’inflige dix fois plus à moi-même. Comme tout le monde, j’ai des idées de samples et d’adaptation. Je prends des idées, lignes de basse et lignes mélodiques. Ma façon de travailler part de tout et de rien. Je n’ai pas de vraies recettes. Parfois, juste un son quand j’allume mes bécanes. Je travaille à la vibe.
Niveau matos, je suis resté sur ma MPC 3000 avec mon ASR 10, ma petite SP 1200. J’ai quelques expandeurs, mais j’aime bien en changer. Je suis resté assez classique dans ma façon de bosser. Je suis resté à l’ancienne, on peut parler de « Old Timer ». Je suis assez sur le grain des machines. J’ai quelques autres synthés et puis un set DJ MKII et une mixette Vestax.
Tout à l’heure on parlait de TEPA (Les Spécialistes), au fait, c’est qui ?
Tepa est membre du groupe BOX OFFICE. Non, Tepa c’est mon petit frère. On a tous les deux fait parti de Da System Prod qui nous a permis de sortir dans le rap français. Il a posé sur quelques productions, pour cause. Mais bon, je n’ai pas forcément envie de me « coller » à un seul artiste, je préfère la diversité musicale. Chacun son chemin même si biensûr, on taffera ensemble sur d’autres morceaux. Par exemple, je ne le suis pas en tournée.
Un petit mot pour la fin, des remerciements ?
Dédicaces et remerciements, ce serait long. Je veux juste dire un merci à ceux avec qui j’ai travaillé. Egalement aux puristes qui font avancer le truc. Tous les gens qui m’ont permis d’exister musicalement et puis aussi à ceux qui me permettront de continuer à faire ce que je fais. Le rap n’est pas mort comme on nous le prédisait à ses débuts « ouais, dans un an c’est fini ! ». Et puis, enfin je remercie ton magazine BLAZE HIP HOP de m’avoir permis de m’exprimer.
Publié par
, le 14.06.2008