Hocus Pocus
La consécration du hip hop acoustique
Pour commencer, peux-tu te présenter en quelques mots, pour tous ceux qui ne te connaissent pas encore ?
Je suis 20Syl, membre d’Hocus Pocus, groupe nantais existant depuis une dizaine d’années. Personnellement, je suis rentré dans le rap par le biais des machines, c’est-à-dire de mon expandeur. En gros, je suis dans le son depuis une dizaine d’années également. Au départ, il n’y avait que deux MC et nous faisions tout. Un premier album intitulé « Seconde Formule » a donc vu le jour. En 1998, nous avons rencontré Greem, puis le reste du groupe s’est formé par relations.
Ton actualité, c’est le second album d’Hocus Pocus, peux-tu nous présenter le groupe ?
Aujourd’hui Hocus Pocus, c’est neuf membres sur la route avec : Hervé à la basse, Antoine à la batterie, David à la guitare, Matthieu au piano, Greem aux platines et moi-même 20Syl au micro. Nous tournons avec deux techniciens son & lumière et un régisseur qui gère également le label. Cette formation instrumentiste existe depuis quatre ans.
Lorsque l’on écoute « Place 54 », on sent un album plus orienté acoustique que le premier avec des beats parfois éloignés du schéma classique hip hop. Peux-tu nous en dire plus sur la direction artistique choisie ?
Depuis qu’on a commencé à faire des maxis lors de nos premiers pas dans le hip hop, on utilise les sampleurs. Moi j’ai commencé avec un expandeur, je recopiais des extraits de musique classique en reprogrammant chaque instrument. Ensuite, j’ai eu un sampleur. Une véritable découverte, je passais mes nuits dessus. C’est là qu’a débuté mon travail avec les samples, un gros kiff ... Donc, je suis venu au hip hop par les machines et dans un deuxième temps, on a intégré des musiciens dans le groupe. On samplait déjà beaucoup de jazz et de soul. Dès qu’on a commencé à travailler avec des musiciens, on a simplement gardé la même méthode. On sample les musiciens, ce qui laisse plus de possibilités avec un environnement riche et varié musicalement. C’est pour cette raison, que « Place 54 » est un peu l’aboutissement de l’évolution d’Hocus Pocus qui est passé par les samples. Le premier maxi « On and On » est 100% samplé avec des beats qui claquent et un son fat à la DJ Premier. Puis, « 73 touches » est très hip hop mais avec des ambiances acoustiques. Pour « Place 54 », on a voulu refléter ce qui se passe en live avec une diversité à la fois des rythmes mais aussi des sons et des couleurs. Donc cela va chercher dans le jazz, la soul, la funk mais aussi dans les musiques du monde ... C’est pour ces raisons que cet album sonne plus live. L’album sonne acoustique mais la partie rythmique est programmée.
Le premier morceau « Place 54 » fait penser à un morceau de slam. D’ailleurs, tu fais référence à Grand corps malade. Te sens-tu proche de ce courant musical ?
Disons que ce morceau a été écrit dans un train, à la place 54 d’où son titre. En fait, il a été écrit sans flow, sans musique. A l’enregistrement, il a été lu comme une poésie avec une petite musique de fond. Pour moi, le slam est posé sans musique, c’est un truc à part. Ca se rapproche des choses parlées, rappées, ce qui permet de mettre des textes en valeur. J’apprécie des artistes comme Abd Al Malik ou Grand Corps Malade. Je suis allé voir des sessions de slam, c’est un truc qui me plaît au niveau de l’écriture, de la poésie, mais ce n’est pas franchement mon domaine. Je préfère les textes rappés, très rythmiques, quand tu te sers de tes mots comme des percussions.
Ce deuxième album compte pas mal d’invités et on retrouve avec bonheur The Procussions. Peux-tu nous expliquer le choix de tes invités en les présentant rapidement ?
C’est un groupe de Los Angeles, composé de deux MC mais qui sont également de véritables musiciens. Ils font tous les deux des instrumentaux qui déchirent, pour d’autres MC américains. Ils touchent un peu à tout : piano, batterie, guitare ... On les a rencontré en live, on est allé voir un concert où ils faisaient la première partie. On les a invité au studio à Nantes le lendemain pour leur faire écouter notre album sans forcement penser à un featuring. Le courant est passé, ils ont kiffé notre démarche, on est parti en freestyle et cela a donné le morceau « Hip Hop » sur l’album « 73 Touches ». Du coup, on essaye de les faire venir à chaque fois que cela est possible et cette fois, cela a donné le morceau « Vocable ».
Dans chacun des deux albums, on retrouve des thèmes très variés et originaux. Peux-tu nous parler un peu de ta façon d’écrire ?
Je n’écris jamais en tournée. C’est toujours de temps en temps, sur des périodes courtes et en règle générale avant un album. Je récupère un tas de faces B américaines ou des boucles de soul, de funk, qui vont m’inspirer. Ceci me lance pour gratter un début de texte. J’écoute toujours un son pour écrire, puis je compose le morceau. Tous mes textes rappés sont écris comme cela. Pour chaque texte, je trouve un concept et plusieurs idées fortes que j’ai envie de développer. Par exemple pour « Je la soul », je suis parti d’un constat tout simple : tous les trucs que font les mecs et qui saoulent leurs femmes ... J’ai donc noté tous les petits détails de la vie quotidienne qui me faisaient marrer et j’ai agencé les phrases et trouvé les rimes. Par contre, il m’arrive aussi d’écrire pour la rime et le flow, puis le thème en découle. Mais en général, c’est moins précis.
On sait aussi que tu es un producteur talentueux très influencé par la soul music. Peux-tu nous en dire plus sur le matériel utilisé et ta passion pour la soul ?
J’ai commencé avec un S2000 puis un S3000XL. Je possède une MPC 2000 XL, les pads sont défoncés mais elle fonctionne toujours et je l’utilise encore. C’est une machine qui me convient, même si le son n’est pas phénoménal. Disons que tu peux « tordre » les sorties analogiques pour donner un certain grain. Je m’en sers surtout pour faire mes maquettes. A coté de cela, j’ai un Mac avec le logiciel Digital Performer, une carte son 828 MKII, un préampli Avalon 737 SP et un Neumann TLM 103. Tous les albums d’Hocus Pocus sortent de cette configuration sonore. Sinon, j’ai aussi investi dans du matériel de beatmaker, à savoir des instruments : une basse Fender Précision de 1970, un Rhodes, le suitcase, un clavinet etc ... en fait, tous les instruments que j’ai pu sampler auparavant. Pour « 73 touches », tout a été fait dans le logiciel Mach Five. Mais pour « Place 54 », les mises à jour n’étaient pas faites, du coup je n’ai utilisé que la Mpc. Tous mes vinyles sont encodés dans mon ordinateur.
Que penses-tu de la scène hip hop en France et qu’écoutes-tu en ce moment ?
Pour moi, il y a plusieurs scènes en France. Pour le côté engagé, il y a des groupes comme La Rumeur, Casey ... Je les suis depuis le début, j’ai acheté leur premier maxi. J’apprécie leur travail, même si je t’avoue que je décroche parfois un peu du discours politisé. Pour le côté bling bling, je pense à Booba, La Fouine etc ... J’ai du mal avec le fond des textes mais le flow et les formules sont vraiment bonnes. C’est très efficace. Lunatic, Time Bomb, Les Sages Poètes de la Rue, j’attendais toujours leurs sorties. Gros parcours ... Après, tu as la scène alternative, avec des groupes comme Svinkels, TTC, La Caution ... Et puis la scène jazzy, Khondo, Real Carter, Enz, Dernier Pro, Moar ... C’est assez riche. Personnellement, voilà ce que j’écoute en ce moment. Sinon, il y a DJ Brasco, les Drums Brother, Fisto etc ...
Dans le morceau « Quitte à t’aimer », on sent un rap plus engagé. Que penses-tu du rap engagé et quelle est ta vision de la France ?
J’aime le rap engagé quand il fait réfléchir. Il s’agit de ne pas le traiter de manière froide. Il faut également un peu de dérision, de l’ironie, de l’humour, c’est important pour moi. Il doit y avoir un travail de l’auditeur à l’écoute du morceau. C’est ce qu’on essaye de faire dans Hocus Pocus. J’aime quand les gens réussissent à s’intégrer aux propos. On ne traite pas trop les sujets de front. Pour « Quitte à t’aimer », le concept du morceau est de s’adresser à la France comme on s’adresse à un vieil ami. Quand on prend un peu de recul, la France est un beau pays avec plein de qualités. Mais d’un autre côté, il est vrai que les inégalités progressent et que plein de choses vont de travers. En ce moment, nous avons un gouvernement un peu tordu. Enfin, c’est un peu large, disons plutôt que nous avons un président qui fonctionne à l’envers. Tu vois bien, il s’augmente quand de nombreuses personnes sont en galère. Ceux sont ces types de choses qui me choquent, mais tu vois, je ne suis pas assez au courant, assez bien placé. Des gens comme La Rumeur, eux sont militants, ils sont au fait de ce qui se passe, ils savent écrire de cette manière. C’est pour cela que je respecte leur travail. L’image que j’ai d’eux, c’est qu’ils ne rigolent pas.
Avec tes acolytes, vous avez monté le label On And On. On y retrouve C2C ainsi que Hocus Pocus et tes projets personnels. Peux-tu nous parler de l’actualité du label ? Comptez-vous signer de nouveaux artistes ou est-il dédié uniquement à vos projets personnels ?
C’est un label créé en 2001 avant tout pour sortir des vinyles. Dans un deuxième temps, le label a produit Hocus Pocus qui commençait à émerger. Cela a rapporté des fonds et on a pu sortir d’autres disques pour scratcher. Là, on espère récolter suffisamment d’argent avec « Place 54 » pour pouvoir signer d’autres artistes ou éditer des artistes ricains en France. Maintenant, On and On, c’est Yann pour le côté administratif et moi pour le côté artistique. On n’a pas encore assez de temps et de budget. On fait cela tranquillement. En ce qui concerne C2C, c’est un peu en stand-by. Greem et moi sommes très occupés en ce moment. Du coup, les deux autres DJ, Pfel et Atom tourne avec le projet « Beattorrent » à un albumaussi C2C très proc
Quels sont tes projets à venir ou simplement tes envies pour la suite ?
On a une grosse tournée, avec déjà cinquante dates passées. De fin février, début mars, on repart en tournée avec Hocus Pocus jusqu’à l’été. Sinon, je sors quelques productions de temps en temps avec des gens dont j’apprécie le travail et qui me le demandent. J’ai sorti une production à un MC italien, j’ai rappé avec un MC japonais, j’ai aussi des projets avec Dernier Pro, Khondo. Tout cela est un peu mis de côté pour l’instant vu notre actualité. La priorité reste le live.
Un petit mot pour terminer :
Continuez à aller voir des concerts, écoutez du son et surtout soutenez la scène indépendante !!
Publié par
, le 10.05.2008