Interviews

AirOne

« J’aime surtout raconter des histoires »

Présente-toi

AirOne, MC / Beatmaker originaire des Yvelines.

Pour commencer, qu’est-ce que tu aimes dans le rap ?

Ce que j’aime dans le rap ? C’est la première fois que je me pose la question tiens ! Et ce serait plus simple de te dire ce que je n’aime pas dans d’autres courants musicaux... Disons que ce qui me plaît avant tout dans le rap c’est le texte et l’écriture. Si ça me parle alors c’est bueno, même si la production est moyenne, même si le son est crade et même si le MC a un flow bancal. En revanche, un gars qui assure au mic sur une prod’ qui défonce tout mais qui ne sait pas aligner deux mots sans une faute de français et surtout sans qu’il ne dise rien d’intéressant, je coupe direct, c’est même pas la peine, j’ai l’impression de perdre mon temps à l’écouter rapper. Et ça a toujours été le cas.

Et qu’est ce qui t’a donné envie de faire du rap ?

C’est venu tout seul. J’ai écrit mon premier texte en 95, à 15 ans donc. Je venais de passer le brevet, c’était les grandes vacances. Je passe au Madison (disquaire de Saint Quentin en Yvelines qui a disparu depuis 10 piges au moins) et j’achète le 2 titres d’NTM "Tout n’est pas si facile". A cette époque, j’avais acheté quelques cassettes de rap ("L’homicide volontaire", "ombre est lumière") mais pas encore de cd, trop chers. J’écoute donc le cd single et je découvre non pas deux mais trois tracks, la troisième étant une version instrumentale de "Tout n’est pas si facile". Je me suis d’abord demandé à quoi ça pouvait bien servir, puis je me suis mis à rapper les paroles originales avec un pote par dessus, en nous enregistrant avec un vieil enregistreur cassette. Je me suis dit que ça serait marrant d’écrire mes propres lyrics, m’enregistrer et filer la cassette à mon pote le lendemain (il me semble même que j’avais fait un semblant de cover). Mon texte devait sûrement être inécoutable, mais depuis ce jour je n’ai jamais cessé d’écrire, j’avais choppé le virus.

Et pour ce qui est de la production ?

Côté beatmaking, assez rapidement ça m’a également titillé (c’est pas très excitant de rapper sur face B) et en 97, je faisais ma première prod, avec le magnétophone Windows ! Quand je réécoute les sons de l’époque, je me demande quand même comment je faisais pour arriver à sortir un truc carré à partir de ce logiciel ultra basique...

Revenons à tes débuts. Quels sont tes premiers projets ?

Nous allons plutôt parler de mon premier projet car pendant pas mal d’années je rappais pour passer le temps, sans réellement me prendre au sérieux. J’étais mon unique fan et ça m’allait très bien. Puis en 2003 j’écris un morceau intitulé "C’est pas moi ça". Il devait se retrouver sur une compilation qui finalement n’a jamais vu le jour. J’ai donc mis ce morceau en écoute sur un site (HHnonstop qui a fermé depuis), c’était mon premier échange avec des inconnus et très vite ça a fait le tour de quelques sites. J’ai eu pas mal de messages d’encouragements, on me disait de ne rien lâcher, que c’était vraiment bien... deux ans plus tard, je sortais mon mini album 6 titres "L’éclosion" au format numérique uniquement

Pourquoi avoir choisi pour une première sortie de la faire en digital ?

Le projet n’était pas assez abouti pour lui donner plus d’importance. J’ai fait très peu de promo, déjà parce que j’avais pas vraiment le temps et surtout parce que je n’en étais pas pleinement satisfait. Les enregistrements des voix étaient largement perfectibles, le mixage fait par mes soins était tout sauf maîtrisé, le mastering était inexistant, bref je l’ai sorti à la hâte car ça commençait à traîner et je souhaitais passer à autre chose. Au final j’ai tout de même eu quelques retours positifs. J’ai également eu des critiques négatives qui m’ont permis de m’améliorer par la suite.

De l’éclosion à l’album que tu viens de sortir, quelle est l’évolution et le parcours accompli ?

Tu fais bien de dire qu’il s’agit d’une évolution car j’ai gardé les mêmes ingrédients de base que pour « L’Eclosion », mais j’ai cherché à corriger les défauts de jeunesse de ce projet. Les textes ont probablement gagné en maturité mais j’ai surtout énormément travaillé le flow, pour le fluidifier, l’aérer et le varier. Côté instru, j’ai cherché à les rendre plus claquantes, notamment en travaillant mes choix de drums et les sonorités des instruments. Je sample autant que je compose sur l’album, je trouve ces deux approches de travail intéressantes même si ça m’agace parfois de passer du temps à essayer de faire sonner 3 cordes, un piano et 2 cuivres ensemble...

J’ai vu que le mixage et le mastering ont été réalisés par Lartizan. Comment s’est passée cette rencontre ?

Pour ce qui est du mixage, là il y a eu une révolution plus qu’une évolution : je n’ai pas cherché à mixer moi même le projet pour ne pas refaire la même erreur qu’avec "L’éclosion". Dans un premier temps, une dizaine de musiciens et ingénieurs du son rencontrés sur le net ont accepté de mixer chacun un titre. Le résultat était mitigé, l’ensemble des mixages n’était pas homogène, je n’étais pas satisfait de certains mix... Au même moment, je reprenais contact avec Lartizan que j’avais connu quelques années plus tôt "virtuellement". Ce mec m’impressionne. Pour moi c’est l’un des meilleurs beatmakers de sa génération. L’album "le jeu du pendu" sur lequel il s’associe avec Sept est une tuerie, le meilleur que j’ai entendu depuis au moins 5 ans, et de loin. Ensuite le Label qu’il a monté (www.lzorecords.com) sort pépite sur pépite, j’achète absolument tous les projets qui en sortent. Bref, un soir, lors d’un concert d’un pote dans un bar, on discute pas mal avec Lartizan sur nos projets respectifs. Il m’envoie un mail quelques jours plus tard en me disant que si j’ai besoin de quelqu’un pour mixer l’album, il est OP. Il doit avoir un don pour lire dans les pensées, c’est exactement ce que j’attendais de lui sans oser lui demander ! Il s’est également occupé du mastering.

Quels sont les sujets qui te tiennent tout particulièrement à cœur et que tu abordes dans ton album ?

Les thèmes abordés sont tantôt personnel (« Entre hier et aujourd’hui », « Le flow aérien ») tantôt plus général (« Les mots ») mais j’aime surtout raconter des histoires, par le biais du "story-telling" : décrire les actions, les pensées, les actes d’un personnage ou me mettre dans sa peau. Je trouve l’inspiration auprès de mes proches, dans les journaux, les films ou encore lors de voyages. Tout est bon à prendre. Par exemple pour "l’engreneur", je ne fais que réécrire une histoire vraie qu’un guide belge m’avait raconté au Costa Rica : les touristes lui demandaient sans cesse où il était possible de trouver de la drogue. Un jour un américain lui a même demandé où trouver des prostituées. Le guide, pour se moquer, lui a demandé quelles types de femmes il recherchait et l’américain de répondre : "pas une grosse, j’en ai déjà une à la maison" !

Tu as clipé le titre « ce job n’est pas pour moi ». Pourquoi ? Est-ce un texte autobiographique ?

Pas vraiment (rires). Parfois, c’est le subconscient qui guide ma plume. Je me souviens qu’au moment d’écrire "Ce job n’est pas pour moi", j’ai juste lancé l’instru et la première phrase est venue toute seule "Figure toi que je me suis fait virer comme un malfrat, un paria, mon boss m’a dit écrase toi, casse toi, t’as pas le droit". Ce texte a d’ailleurs été l’un des plus durs à écrire, ça partait dans tous les sens, je n’arrivais pas à canaliser mes idées. D’ailleurs, je n’avais pas retenu ce titre sur la tracklist initialement mais je trouvais l’instru tellement efficace que j’ai réécrit 50% du texte et je l’ai réenregistré deux semaines avant de l’envoyer au mixage. Au final, je trouve que c’est l’un des meilleurs de l’album, comme quoi, faut vraiment jamais lâcher l’affaire, il suffit d’un rien parfois pour qu’un morceau moyen devienne un classique. L’inverse est malheureusement également vrai (rires).

Le « Premier envol » a été entièrement auto-produit. Pourquoi avoir voulu garder la main sur l’ensemble du projet ?

Ce n’était pas vraiment un choix. Je n’avais jamais fait de démarche pour aller vers un beatmaker car je suis très exigeant, artistiquement parlant, et comme on est jamais mieux servi que par soi même… Tu me diras, d’un autre côté, aucun beatmaker ne m’avait jamais demandé de collaborer…

Est-il prévu dans une prochaine sortie de te faire accompagner sur la réalisation des instrumentales ? Des featurings sont-ils également prévus ?

Tu ne crois pas si bien dire Orni ! Pour le moment je ne préfère pas trop en parler, mais je travaille actuellement avec un beatmaker sur un mini album, disons entre 6 et 10 titres. Des featurings sont effectivement prévus mais rien n’est encore défini. Je ne sais pas trop si la sortie (prévue au second trimestre 2011) se fera au format physique ou digital. Tout ce que je peux dire, c’est que le beatmaker en question a un sacré talent, qu’il est vraiment unique et que sa musique se situe très loin des tendances actuelles…

Quelle importance accordes-tu à l’image (graphisme, packaging…) ? A nouveau c’est toi qui t’en es chargé.

Quand tu sors un album au format cd, les gens achètent un objet. Il est préférable que celui-ci soit agréable à regarder. Je voulais un visuel simple, épuré, un peu comme le sont certains de mes sons. Quand je cherche un album de rap français, les ¾ des pochettes me navrent et me font rire à la fois : c’est souvent un gros plan sur le MC, qui fait la gueule, derrière lui t’as une cité, ou une Bentley au choix, et voilà. Sans déconner, le mec s’est pas foulé, il y a zéro recherche, son truc vaut quedal, et ne me fait pas envie. Si le son est bon, je préfère encore acheter l’album au format digital.
Effectivement, c’est moi qui ai réalisé l’artwork de mon album, enfin 80% car je me suis fait aider pour le rendre plus pro par un graphiste : Plushu (www.plushu.com). Au final, j’ai pris autant de plaisir à faire les prods, qu’à écrire les textes, ou encore à faire l’artwork. Et c’est ça l’important.

Quelles sont les difficultés que tu as rencontrées pour sortir ton « Premier Envol » ?

Sortir un album autoproduit, sans label, en étant autodidacte est un sacré défi ! Il faut garder une motivation constante, s’organiser pour franchir certains paliers et enfin savoir revenir en arrière si nécessaire (par exemple pour le mixage dans mon cas). Il n’est donc pas rare de perdre 6 mois voire plus à cause d’un mauvais choix de départ. Ma principale difficulté était de trouver les personnes susceptibles de me donner de bons conseils ou bien de m’aider (Plushu par exemple) sans que la discussion ne parte dans des débats stériles sans fin. C’est sur le site audiobusters (www.audiobusters.com) que j’ai trouvé ces personnes.
Travailler seul à ses avantages (flexibilité, liberté) et de gros inconvénients (aucun recul sur ce que l’on fait, des baisses de motivation et d’inspiration). J’ai appris grâce à la réalisation de cet album qu’on pouvait être totalement maître de son projet tout en se faisant aider par des personnes extérieures.

Que peut-on te souhaiter pour la suite ?

De vendre encore et encore des albums ! (rires) Plus sérieusement, je cherche pas à percer, ma vie me va bien comme elle est actuellement. Les quelques messages via myspace ou facebook de totals inconnus qui kiffent ma musique me font vraiment plaisir et c’est le plus important pour moi. Souhaite moi juste d’en recevoir encore et encore. J’avais fait un morceau en 2003 qui s’intitulait « Dans 10 ans ». J’y disais « Allez, soyons optimiste : 4 albums sortis, j’serais présent sur trop de tracklists ». Voilà, en gros il me reste 2 ans et demi pour sortir 2 projets, c’est tout à fait jouable (rires).

A toi de conclure.

C’est simple : à tous ceux qui regrettent les textes de Fabe, à ceux qui ont connu l’âge d’or du rap français de 95 à 97 et qui ne se retrouvent pas dans 90% des albums qui sortent aujourd’hui, à ceux qui pensent que le texte prime sur tout le reste, à ceux qui se demandent pourquoi aujourd’hui il n’y a quasiment plus de scratchs dans le rap français, venez écouter le teaser du « Premier envol » sur www.airone-production.com et procurez vous l’album au plus vite, il n’y en aura pas pour tout le monde.

Merci à Ornicard et à Blaze HipHop pour leur soutien

Peace
AirOne


Publié par Ornicard, le 17.09.2010



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